Jesse Navarez - Living in a requiem [Clôturé]

     Je fixais le téléphone éclaté au sol, et rien d'autre... c'était le résultat de l'étape trois du deuil : la colère. Pas le temps pour la première. J'affronte la réalité. J'ai merdé... ça c'est une rétrogradation à l'étape deux. L'étape ou je me rend compte que j'aurais dû être la... la seule chose qui m'avait gardé à L.A pendant quelques temps, c'était Letizia... pourquoi je ne suis pas retourné chez ma mère une fois qu'elle a disparu ? J'aurais eu l'occasion de la voir... le sang passe avant le boulot... c'est maintenant que je m'en rend compte... quel con je suis, quel putain de CON !

     Maintenant je suis tout seul, et je ne l'ai pas volé. Ça me donne une raison d'en rouler un ça... j'sors mon tabac, mes feuilles mon sachet de K2... cannabis synthétique, indétectable, mais une belle saloperie pour la santé... au pire j'risque quoi ? Mourir lentement d'un cancer du poumon, seul ? Eeeeeh'... nan, nan... j'm'allume mon joint la, et j'me dis : pourquoi pas tenter de réussir un truc au moins ? Ma carrière. En hommage à mon père... et à ma sœur. Oh, ma mère reste elle-aussi dans mon cœur... elle, elle était déjà bien contente que j'arrivais à rester suffisamment loin des problèmes étant gosse.

     Ou... ouais... genre... inspecteur... haha, ouais... inspecteur Navarez... j'y avais jamais vraiment songé... ça sonne CLAAAASSE ! J'ai envie d'attraper du connard... d'enquêter sur le genre de détritus qui détruisent des familles... kof kof... putain mais j'parle tout seul moi maintenant... oh, peu importe... demain j'vais quitter le poste de responsable d'armurerie... et m'bouger un peu l'cul... quelques journées de patrouilles pour s'remettre dans l'bain, puis j'vais voir dans quelle division du Bureau des Enquêtes Criminelles j'peux poster...

     ... Inspecteur Navarez... j'vais cartonner comme... comme... eh, comme le genre d'inspecteur qui s'fume des joints et qui arrive tout de même à garder la tête claire... j'ai la tête claire... claire... claire... claaaaaire...

     Oooh... et... et 'faut qu'j'réserve le billet d'avion pour OK... et qu'j'trouve quelqu'un pour s'occuper de Lahoma... OK Lahoma... haha putain... j'l'ai bien trouvé c'nom... p'tain... j'vais... j'vais TENTER de dormir maintenant... en espérant être assez assommé pour palier le fait que je vais culpabiliser d'être le lâche que je suis... mais j'crois qu'c'est l'cas...

     Cette matinée était comme toutes les autres. Léger mal de crâne en me réveillant, prise direct du petit-déjeuner avec un café bien serré, puis la douche... mon petit moment de répit... de réflexion... j'ai pensé à ce que j'allais faire à Oklahoma City... bien sûr, assister à l'enterrement... causer avec des membres de ma famille dont j'aurais oublié la tête, des personnes venus du Mexique, ou d'Angleterre... mes anciens amis probablement ! Ça fait chier... je sentais déjà venir tout ce qui allait se dérouler... des gens tristes... des pleurs, des condoléances, des échanges de regards... j'allais lire dans leurs yeux comme dans un livre... il sera bien facile de différencier le message transmis par chaque personne d'un "Toutes mes condoléances Jesse" à "Ou étais-tu sale ordure ?". J'ai la haine rien qu'en envisageant que quelqu'un puisse penser ça de moi... LA PUTAIN DE HAINE !

     J'ai fracassé le pommeau de douche à répétition contre le carrelage du mur... je ne savais pas pourquoi j'avais des moments comme ça, mais ça me faisait du bien... mon mur finit par se détériorer légèrement, laissant apparaître des craquelures... j'aurais payer chère pour pouvoir faire la même chose au crâne du meurtrier de ma mère et de ma sœur... j'vais peut-être faire ça tiens... une fois la-bas... en espérant que la brigade des homicides de l'OCPD puisse me fournir quelques pistes...

     Allez ! J'éclaircis ma tête... j'suis claire, j'suis claire... je sors de la douche, je me sèche, je réserve le billet d'avion, puis juste le temps d'aller faire jouer un peu Lahoma dehors, avant d'être partit.

     Aujourd'hui fût ma première journée de patrouille depuis quelques temps, animée par la rencontre de quelques uns de mes nouveaux collègues. Le P-I Young qu'à l'air d'être une fille sympa... j'ai pu brièvement voir l'officier III Velasquez sur lequel j'ai directement étiqueté les mots "connard condescendant", et le sergent Kaulins. J'ai empêché sa voiture de se faire écraser par un train aujourd'hui... longue histoire... mais quand je lui ait annoncé, il avait l'air de s'en foutre... au fil de la conversation, j'ai tilté : il avait la gueule de bois. J'ai rien à dire, j'fume bien des joints...

     Mon service était terminé depuis environs une heure... je rentrais d'un petit bar ou je me suis bu rien qu'une petite bière, lorsqu'un type en Harley conduisant n'importe comment a manqué de me rentrer dedans... je l'ai suivit jusqu'aux environs d'Union Station, et on a commencé à causer. Le ton est rapidement monté... il avait une batte en bandoulière dans son dos... j'avais vraiment envie de le frapper avant qu'il tente quoi que ce soit avec son arme blanche, mais je me suis retenu... j'ai attendu qu'il tente de m'en envoyer une : J'ai esquivé, et j'ai envoyé mon poing droit de toutes mes forces dans son ventre en guise de contre-attaque. Cet enculé était neutralisé, et ça m'a fait du bien, j'ai pu rentrer chez moi avec ma Harley, l'esprit... légèrement apaisé. A croire que j'aime cogner maintenant...

     Chaque flic tombe un jour sur LE truc qui peut booster sa carrière... une intervention parfaitement réussi, un sauvetage, ou, une affaire de meurtre...

     Je sortais de boîte, ou je m'étais fumé un blunt assommant... j'avais passé la soirée avec Noa, elle venait de partir... j'étais avec une bande d'étrangés, et le capitaine Clyburn, en patrouille civile... un homme est arrivé derrière nous. Je me souviens plus trop du reste... ou je ne veux pas me souvenir... je sais que j'aurais pu sauver le pauvre gamin de la rue qui s'est pris une balle dans la tête... et encore... encore un mort dans ma vie. Juste devant mes yeux. On est tous restés en état de choc quelques instants devant le cadavre... il a eu le temps de MARCHER jusqu'à sa voiture avant de se tailler.

     Vous avez pas idée comment ça la fout mal à un flic ça... surtout à un flic déjà endeuillé... merde, j'ai l'impression que ma vie entière est une messe... J'ai reçu la tâche de mener mon enquête. Le Capitaine Clyburn était trop concerné qu'il disait... je me suis porté volontaire pour m'en occuper, mais je vois pas en quoi je suis moins concerné que lui... sans doute qu'il ne veut pas salir son image... il m'a sauté à la gueule sous ordre du tueur, la seconde précédant le meurtre... Ouais... il a raison quand il m'a dit que c'était de sa faute... Ce psychopathe avait joué avec nous... un d'entre nous allait mourir... il a pris le temps de choisir entre "le gamin", "le black", "la salope", et moi, "le tacos"... Le premier est mort... toute une vie effacée, à cause d'un con qui se tape une crise de la quarantaine.

     Caméras, empreintes, tout ce que je peux récolter, ça me mène vers un nom, une simple piste, mais... Benny Braddock... Benny putain de Braddock. Quel nom... Je vais te traquer Benny... quand je saurais ou te trouver... j'aurais besoin de te comprendre... je prévois déjà de t'accoster sans l'uniforme. On va parler... parler, et parler... et quand j'en aurais fini avec toi... je ne sais pas vraiment ce que je ferais. J'aime prétendre que tout est noir est blanc, même si par moment ça m'amène à me classer dans la première catégorie... je sais déjà ce que je ferais aux meurtriers de ma mère et de ma sœur si je les retrouve. Quoi qu'il en soit je dois agir rapidement... mon avion est prévu pour vendredi, ce qui me laisse juste un jour... Un jour pour trouver Benny Braddock.

Il est temps pour moi de prendre un taxi vers l'aéroport. Mes bagages sont prêtes, et ma chienne a été laissée chez Young.

Un arrêt sera fait au poste. J'y ait à déposer un carton. Il contient tout ce que j'ai pu récolter contre Benny Braddock. Ça sera assez pour obtenir un mandat d'arrêt, et il sera probablement déjà derrière les barreaux d'ici mon retour. C'est pas mon problème. Il est capital pour moi de laisser le professionnel à la place du professionnel et le personnel à la place du personnel. Autrement je ne m'en sortirais pas, mes capacités cognitives deviendraient un bordel que seule une visite chez un psy' pourrait arranger. Et je ne veux pas ça.

Oklahoma City m'attend. Vieux amis, famille éloignée... et parmi eux, deux cadavres... Deux corps sans vie, qui étaient ce que j'avais de plus chère durant 26 années.

L'avion décolle, les temps changent...