C H A P I T R E 5
- Je:
La porte du Hangar glissait encore plus lentement que le dernier souffle de vie d'un mec qui se serait amusé à devenir une passoire. Comme une physique imparable, le vent s'engouffrait dedans en remuant la terre laissé derrière moi. La lumière s'y glissait lentement tandis que je me forçais à fermer les yeux face à ceux qui en finiraient probablement avec moi. J'avais sorti mon plus beau sourire face à leur canon et ironiquement j'espérais que ça se passerai rapidement malgré le nombre conséquent de justifications que j'avais réussi à préparer. A la fin de son bruit strident, le vent s'arrêta, la porte ne bougeait plus alors que mes pupilles s'adaptaient à la luminosité ambiante. Je m'attendais à recevoir un accueil chaleureux que j'aurai pu ressentir par les brûlures que m'auraient causé les dernières balles et pourtant, je ne voyais que deux chaises face à moi. Une vingtaine de mètres nous séparaient et je sentais une présence importante assise sur l'une d'entre-elles. Si il m'avait été possible de définir l'état de l'âme d'une personne, celle en face de moi me brûlait la gueule. Un comparatif simple entre un dogue allemand assis sur cette chaise, et moi, le vulgaire caniche à vouloir pisser sur ses pieds.
Kaulins.
C'était ma phrase normalement. C'était à moi de me présenter et non pas à lui de me rappeler qui j'étais. Le vieux chauve ne voulait même pas tenter de briser sa colonne à tourner son regard vers moi qui me trouvait derrière lui. J'aurai pu dégainer à n'importe quel moment, j'étais certain de pouvoir lui faire cracher son dentier d'une seule balle. Et pourtant, les deux SUVs garés en devant du Hangar me rappelaient cordialement d'éviter de faire le beau à remuer la queue trop rapidement. Alors comme un bon caniche, je la bloquait entre mes jambes et avançait la tête baissée. Je n'affirmait même pas, je n'en voyait pas la peine. Ca l'aurait certainement énervé. Je comptais les mètres que j'avalais par ma marche habituelle. Je me retrouvais en face de la chaise qui donnait directement sur son visage de vieux, et je m'assis alors. Il ne releva même pas la tête, il se moquait pertinemment de mon état face à lui. Son lui intérieur devait se branler tellement fort qu'on aurait pu en devenir sourd rien qu'à le regarder faire.
Papa...?
Pourquoi cette question Kaulins. Pourquoi cette putain de question à un père qui venait assouvir le deuil de sa fille. Je ravalais subitement ma fierté. Pour le coup, depuis vingt-trois ans je ressentais la peur de crever. Directement certes, mais j'avais surtout peur de payer de mes actes lentement. C'était pourtant le meilleur moyen d'avoir son attention. Et je l'avais eu. Il redressai faiblement le regard en ma direction, il me regardait d'une manière dont je n'arrivais pas à comprendre les intentions. D'un côté, c'était toujours la même chose avec les Fitzermann. On ne sait jamais comment les prendre, et il était impossible à anticiper une action de leur part. Je serrais la mâchoire, j'anticipais la balle faire sa sérénade à mon cerveau, et pourtant il ne fit rien. Je ne vis aucun autre se sortir du Hangar pour me faire comprendre que j'allais mourir.
Vous étiez censé assurer sa protection...
Et voilà le moment fatidique que je redoutais. M'accuser de mes crimes. M'accuser de ne pas avoir su protéger une fillette de vingt et un ans. M'accuser de ne pas avoir été là pour elle. M'accuser de la chute des Fitzermann. M'accuser de tout, et m'accuser de vivre. Pour lui plaire, je ressentais aussi que je n'avais plus ma place dans ce monde. Malheureusement, je ne voulais pas le lui avouer, car j'avais peur de mourir pour une raison qui m'échappais.
Vous deviez la protéger... - Je... - Ne vous justifiez pas.
A chaque fois qu'il finissait l'une de ses phrases, c'était Kaya qui au loin, riait de ma situation. Même sa mort ne me la retirait pas de ma tête. Elle se moquait gentiment de moi, avec son expression qu'elle abordait constamment. Un chuchotement doux qui me disait que j'allais crever, ici. Mais quand, elle n'en savait rien. Se glissant fièrement derrière son père qui m'avait recueilli à la mort de mon frère. Elle articulait des mots que je ne comprenais pas, et son père pris le relais.
Jusqu'où iriez-vous, si vous n'aviez plus rien?
La même question des années en arrière. La même foutue question qu'il m'avait posé un nombre trop conséquent d'années en arrière. Kaya derrière son père se relevait lentement, me faisant un signe annonçant que je me ferai certainement égorger à la fin de l'introspection.
J'offrirai ma vie à ceux qui me donneront... - Vous donneront quoi? - J'offrirai ma vie à ceux qui me donneront de l'importance dans ce monde.
Fantastique. Je lui avait donné la même réponse à l'époque. Mais aujourd'hui, qu'en était-il.
Vous êtes important Kaulins... Vous êtes connu à Los Angeles... San Francisco... Dans l'Ohio ou même à l'autre bout du monde... - A Londres... - Vous m'avez trahi. - Je n'ai-... - Vous m'avez trahi.
Le même putain de ton. Mes poings s'étaient serrés un peu plus sur mes jambes alors que je redoutais la minute qui suivrait. Il était loin d'être aussi dérangé que sa fille. Il était quelqu'un qui était tout ce qu'un psychiatre renommé pourrait considérer comme étant un homme accompli. Ses soixante putains de bougies lui réussissaient. Manque de chance, son seul cadeau à été l'annonce de la mort de sa fille. L'humour d'un dieu qui s'ennui. L'humour d'un mec paumé. L'humour d'un vieillard accompli.
Qu'est-ce qu'il s'est passé exactement. - Elle est morte monsieur. - Je l'avais bien remarqué. - Pardon...
Et j'ouvrais la bouche lentement en ravalant une dernière fois ma fierté. Après mon monologue, je finirai certainement une balle entre les deux yeux, car ces yeux qui me dévisageaient finiraient par être les derniers à m'avoir accordé de l'importance. Et tandis que mon portable vibrait au son des cloches de Tierra Robada, je lui racontait comment sa fille était morte. Comment j'avais accordé de l'importance à quelqu'un d'autre qui avait disparu. Comment je comprenais son ressenti car j'étais passé par là. Comment je voulais crever pour avoir manqué à mes responsabilités et comment je souhaitais mourir si il m'écoutait.
Comment je souhaitais mourir. Ironiquement je l'avais désiré pas mal de fois, et ironiquement je ne voulais plus. L'ironie d'un dieu qui n'est pas.
Qui est le tueur... - Il n'y en a pas. - Je veux son nom. - Elle a gobé une capsule de cyanure... - A quel effet? - Elle venait de perdre une jambe face à la police. - Kaya... Face à la police... Mais vous vous foutez de moi.
J'aurai tellement aimé qu'il s'étouffe dans ses poumons à l'agonie d'une vieillesse trop importante, mais le vieux était tenace. C'était de famille pour le coup et on ne pouvait pas le lui enlever. Il soupira une fois. Une seule fois. Une putain de fois qui me fit perdre tout espoir de m'en tirer et il se redressa. Sa vieille carcasse tenait bien et il me constatait alors. Il voulait m'annoncer une nouvelle qui ne me plairait pas forcément mais dans tous les cas, je n'étais rien de plus pour lui que son petit adopté qu'il renia à ses soixante ans.
Je ne cherche pas la vengeance... - Vous ne me la ferez pas à moi...
Il s'arrêta brusquement dos à moi. La pression de l'air devenait insupportable alors qu'il tournait la tête en ma direction. Ca semblait d'ailleurs la dernière fois lorsque le chien d'un 44. magnum, au son, s'activait derrière ma tête. Je ne la tournais pas, en le regardant dans les yeux. Mon corps était dans une samba interne qui me fit perdre chacun de mes réflexes. Je dansais nerveusement entre la vie et la mort.
Vous savez pertinemment que nous n'aurions pas attendu une entrevue dans le cas contraire. Même, les dégâts collatéraux... Vous les auriez déjà compté...
Merci Kaulins... Merci d'avoir fait enterrer ma fille.
Il reprenait la direction du Hangar alors que le bout du canon tapa contre l'arrière de mon crâne comme un jeu enfantin où l'on devenait le chat. Je n'avais pas mal, ça avait la force d'une pichenette alors qu'à droite du vieux qui se retirait, une jeune femme aux cheveux du soleil l'accompagnait vers la sortie sans me regarder. Je ne l'avais pas entendu arriver, et je ne l'aurai certainement jamais entendu. Les gorilles étaient eux, revenus de leur balade alors qu'ils remontaient gentiment dans les SUV.
J'étais en vie. Et j'en riais nerveusement sur ma chaise car je n'en connaissais pas la fin du décompte.
- Elle:
Les hostilités venaient de se terminer et j'étais encore inconscient du temps qu'il me restait à vivre. Je les regardais s'en aller alors que je ne bougeais pas, debout, planté là en plein milieux de ce Hangar qui ne fléchissait pas avec le temps. D'un simple coup de regard, je me souvenais de la tâche rouge, faite avec ce sabre en plein milieux du poteau central. Si beaucoup de choses disparaissent avec le temps, ce sang était sec, inchangé depuis plus de vingt ans. Il n'y avait plus les cadavres qui jonchaient le sol, mais l'idée était là. Parfaitement ancrée dans une partie de ma mémoire, à redorer les images floues du passé. Je laissais échapper des soupirs incontrôlés, puis dans un élan de conscience, il était préférable pour moi de ne pas prendre racine en plein milieux du désert. Ils n'avaient pas touché à ma voiture, elle était garée au même emplacement. Pas de bombes ou de système mécaniques en plus que ceux prévus pour qu'elle roule et j'en était soulagé. Il était temps pour moi de retourner à Los Angeles, de reprendre place dans mes quartiers. Retrouver mon appartement ne suscitait aucun engouement, mais c'était certainement le seul endroit où je m'y sentais à ma place.
Durant les heures qui suivaient le trajet, le soleil atteignait le pic de sa course, infatigable. Et lorsqu'il m'était possible d'apercevoir les gratte-ciels de Downtown, je repensais à la gamine qui avait eu l'audace de me faire comprendre que je n'étais rien face à un .44 Magnum. Trop jeune pour avoir la vingtaine, et trop vieille pour n'être qu'une collégienne à qui on avait donné l'occasion de tuer un homme. Rien n'était familier dans les traits de Mia ou Kaya, et pourtant, elle n'aurait certainement pas été arrêtée par la vue du sang de ma boite crânienne dans sa démarche innocente. Et pour trainer avec le "papa" sans qu'il n'ait à la reprendre où lui donner un ordre, c'est qu'elle avait certainement plus de couilles que je n'en aurai jamais eu. Welcome to Los Angeles. Je venais de franchir la frontière entre mes crimes et ma bienveillance. J'était toujours ce bon vieux chef-adjoint à qui l'on ne faisait aucun reproche et qu'on craignait certainement plus que l'on ne m'appréciait mais ça m'était égal. Je n'avais pas disparu, ni pris une nouvelle retraite anticipée, j'avais simplement eu le droit à quelques jours de repos à la suite de la mort d'une de mes proches. Si proche, entrait dans la définition de némésis mental dont l'attachement dépend uniquement du Syndrome de Stockholm. Tuez donc ma famille, je vous aimerai à en pisser le sang.
Mon appartement était toujours intact, inchangé depuis trois jours. Ce parking était tout autant moisi qu'il n'y avait pas plus de véhicules que deux voitures en plus de ma propre berline. Les escaliers étaient aussi les mêmes. Longs, blancs, et sales, puis la porte sur le couloir qui menait à ma pièce sentait toujours autant le rat qu'on oublie chaque mois dans le cellier et qui vous empêche de correctement manger quand vous vous rendez compte qu'il a profité de votre bouffe plus que vous n'auriez pu manger dans un restaurant gastronomique cinq étoiles.
J'ouvrais ma porte que je ne fermais rarement. Je n'avais rien à voler, et puis, qui irait voler le chef adjoint du Los Angeles Police Department.
Pour lui... Il est dangereux pour sa propre santé...
Mais ça, je ne m'y attendais pas. La surprise du chef. Une cerise bien rouge sur le gâteau. Moi qui ne suis pas friand de pâtisserie, je venais d'en manger pour un putain de régiment. Mon salon c'était transformé en une sorte de réunion avec une japonaise et un binoclard à la perruque dégarnie.
Vous foutez quoi chez moi. - Aaah, Kaulins. Enchanté je suis le doct-.. - Deuxième fois. Vous branlez quoi chez moi. - Je peux comprendre votre agacement monsieur Kaulins, mais vous de-.. - Si tu ne veux pas que je t'arrache la langue en un seul chassé dans ta gueule, répond moi.
Je venais simplement de faire comprendre à un présumé docteur que je n'avais aucun scrupule à causer du tord à ceux qui s'immisçaient dans mon crâne. Il constatait avec sérieux l'importance de mes propos. Sur cette scène de crime de ma propre mort, je n'hésitais pas une seconde à en ajouter d'autre sur le tableau. Il constatait en ravalant sa salive bruyamment, tel un final de porno, que mes yeux n'avaient pas le temps de rire. Il se rassied alors sur mon canapé, avant de soupirer en laissant la possibilité à Tia d'éviter un mort prématuré. Elle hésita. Elle se redressa en me regardant dans le fond des yeux. Cette petite japonaise me brisaient gentiment ma capacité de réflexion et dans le fond, j'espérais qu'ils crèvent tous deux ici même d'une force supérieure.
Ethan... J'ai jugé bon que tu sois suivit par un psychiatre. - Ah. - Je sais que tu ne vas pas bien en ce moment... Je sais pas! Il faut que tu parles, que t'évacues! - Ah. - ...
Evacuer. Laisser aller. Se relâcher. Être libéré. De belles conneries joliment dites sous couvert du silence pour ajouter une petite pierre à l'édifice d'une folie qui n'est pas. On ne dit jamais à quelqu'un de combien il est fou. Seulement qu'il a perdu la tête. Malheureusement pour lui, je ne l'étais pas dans ces standards de notes qu'il pourrait bien prendre. Je ne l'étais pas au même titre que Kaya ne l'était pas. Que Jason ne l'est pas. Si l'évolution nous a donné une conscience, c'est pas pour qu'elle soit déballée au premier connard qui se dit capable d'aider. Et dieu sait, ce bon fils de pute, que des connards il y en a à la pelle qui se sont rejoint au cimetière.
Sortez de chez moi. - Mais Ethan! - Tia ferme rapidement ta gueule. - Monsieur Kau-.. - Je t'ai dis quoi l'aveugle, tu l'ouvre, j'en profite pour te rendre muet. - ... - Maintenant, écoutez-moi bien.
Je vais crever. Quand je n'en sais rien. Pourquoi. Et bien simplement parce que dieu se touche la bite allègrement tandis qu'il me voit galèrer. Et pourquoi ne pas en parler au flics dans ce cas. Une bonne question quand je suis moi-même un flic. J'avais besoin d'aide dans certains moments, merci. Je veux juste vivre tranquillement et crever quand je ne m'y attendrai pas. C'est mieux ainsi. Ce sera certainement cette gamine au .44 Magnum. Mais ça ne sert à rien d'enquêter dessus, si ça avait été possible pour Mia, c'est qu'il y avait une raison. Depuis Kaya, rien n'est pareil vu qu'elle même ne savait pas pourquoi elle ne cherchait pas à causer du tord. Elle s'ennuyait. Elle voulait juste être intéressée par quelque chose. Jesse l'avait bien compris. Qui est Jesse? Elle est morte à cause du Lys. On a juste été trop cons pour comprendre le message en pensant que c'était Kaya qui s'en occuperai. Manque de pot, elle donnait juste un avertissement car elle ne savait pas comment s'y prendre. Et si moi j'en ai un. Ah. Oui. En face de vous, sur cette table sur laquelle vous prendrez des notes à la con pour confirmer dans vos critères que je suis névrosé.
Je ne sais plus moi-même ce que je suis. Est-ce que je suis ce que j'ai voulu être, ou alors ce qu'elle a voulu que je devienne.
Mais dans le fond. A déballer ma vie comme ça, je cédais à l'idée d'en parler à ce psychiatre aux miroirs proéminents sur les yeux. Je m'installais alors que Tia attendrait dans le couloir de l'appartement. Il était trois heures de l'après midi. Et le soleil ne s'arrêtait pas.
- Vous:
Qu'est ce que vous aimez dans la vie monsieur Kaulins? - Le plus simple serait de demander ce que je n'aime pas. - Soit. Alors qu'est-ce que vous n'aimez pas dans la vie? - Tout. Absolument tout. - Et depuis quand?
Depuis quand, suis-je comme ça. La réponse était donnée d'avance dans mon esprit, et pourtant je me refusais d'en parler. Je ne voulais pas affronter cette partie de moi qui avait des projets ou l'espoir d'accomplir de grandes choses. Depuis qu'elles sont mortes. Depuis que je suis né. Depuis que je te cause putain d'innocent. Depuis que je me suis rendu compte que Los Angeles était nécrosée jusqu'à la moelle. Depuis que toute ma famille s'est décimée dans un incendie. Cette odeur de mort carbonisé. A me contempler dans le whisky. A croire que c'était "Elle" qui en était la cause. A croire que je n'étais rien de plus qu'un poivrot qui s'affalait sur les bars après chaque tournée. Je ne savais rien faire de plus que d'appliquer les ordres que je recevais, je ne savais pas enquêter. Je ne savais pas offrir à la personne face à moi plus de quatre mots dans une phrase. Et pourtant, j'ai espéré changer grâce à Noa.
Mais il fallait qu'elle s'en mêle. Qu'elle détruise chaque petit espoir qui naissait dans le fond de ma tête. Qu'elle joue avec mes nerfs et qu'elle donne un spectacle amer à mon retour. Ce bon petit officier de police qui rêvait de changer avec la justice qu'il rendait. Les sourires qu'il redonnait. Et ses piètres rêves se sont transformés en cauchemars. Une spirale infernale dans laquelle je complétais mes lacunes. Si il m'était facile d'être atteignable en étant humain, alors je m'offrais le plaisir de devenir un pantin.
Depuis quand monsieur Kaulins?
Ferme ta gueule à faire résonner la question.
Je ne veux pas en parler.
Donnez de la viande à un chien affamé, il deviendra violent envers les hommes. Je prenais une gorgée de mon whisky qui faisait grimacer mon nouveau copain à ma place. J'étais persuadé qu'il trouverai une réponse simple en guise d'excuse pour son incompétence. Et ça me suffirait amplement. Il tournait la page de son cahier comme ce bon élève qu'on éduque a prendre des notes pour tout, mais surtout pour rien.
Qui vous veut du mal? - Vous ne voulez pas savoir. - Si je vous pose la ques-.. - Vous ne voulez vraiment pas savoir.
Mon tout premier employeur. Ce cher Alexander O'hara, résident à Londres, père par procuration après mon embauche lorsque mes parents étaient en dette en Ohio. Tout frais payés. Logé, nourri, blanchi, pour mes services. L'entrainement fut long, on m'avait dit que je me présenterai à divers événements qui feront parler de moi. Offrez de la renommée à un gamin qui n'a rien, et il sera d'accord pour accomplir des prouesses. Ca voudrait dire que j'ai baisé ma soeur, si par soeur on entend zéro lien de sang, de famille, ou d'histoire, alors ouais, certainement. Dans tous les cas, plus morbide que la vie d'un Kaulins, on pourrait s'appeler Hawks, ou Hayes. Et encore, ils s'en sortent bien mieux que moi sur l'optique de l'état de santé.
Qui était Kaya pour vous? - Ah... - Vous ne voulez pas en parler? - C'était...
Tout compte fait. C'était juste une gamine. Une fillette perdue qui cherchait un intérêt chez les gens. Comparé à sa psychotique de mère, elle n'étais pas méchante. Elle n'était pas mauvaise. Elle est juste morte indirectement à cause de sa mère, car comparé à elle, elle arrivait à tisser des liens avec chaque individu qu'elle croisait. Qu'ils soient bons ou mauvais. Et pourtant, dans tout ça, elle n'a jamais commis de tords directs. Elle ne savait juste pas s'exprimer correctement et se devait de parler par insinuations. Une pression énorme était constamment sur ses épaules, et si moi je la ressent aujourd'hui, je n'avais pas pu la comprendre à l'époque. Je ne m'en doutais pas, ou je refusais d'y penser pour de simples raisons.
Quand vous retranchez l'homme sur sa survie, il devient forcément la bête qui l'effraie. C'est un siècle en bois. Un beau siècle en bois où dieu s'en donne à coeur joie.
C H A P I T R E 6
- Echos:
Eh bien nous nous disons à dans une semaine hein? - C'est ça, c'est ça. A plus tard. - A la prochaine monsieur Kaulins.
Je refermais la porte en espérant ne pas perdre patience. Le tuer maintenant n'apporterai rien de bénéfique à avoir joué le jeu de Tia durant une belle heure de mon existence. J'espérais courtoisement qu'elle le suive de près et pourtant elle restait plantée là dans le fond de mon salon en me dévisageant. Ses bras croisés en disaient long sur la prochaine discussion qui suivait la précédente. Elle tirait de moitié la gueule. Je trouvais ça étrangement beau et bizarre à la fois. Comment quelqu'un arrivait à être heureux et déçu en même temps dans ce bas monde. Je soupirais, me frottant l'arrière du crâne frénétiquement, désireux de retirer mes mauvaises pensées qui me trainaient dans cet espace de ma tête. Je relevais le regard, elle n'avait toujours pas bougé. A ce jeu là, je pouvais faire ma vie elle n'ajouterai rien tant que je n'aurais pas compris que je devais lui demander ce que j'avais fais de mal.
Et je la regardais encore, me déplaçant alors dans mon appartement et entamant une vie à deux sans prêter attention à Tia. J'aurai pu m'appeler Monsieur Irma sur l'instant. Elle ne bronchait pas. J'aurai pu appeler un service de cow-girls et me farcir l'enseigne toute entière qu'elle n'aurait pas bougé la garce. Marquant l'arrêt sur le bar de ma cuisine, je venais prendre une gorgée d'un mutlivitaminé qui n'étais pas frais du tout et certainement dépassé selon la date.
Bon... Qu'est-ce qu'il y a? - Rien. - Putain, joue pas à la femme forte et frustrée, tu vas vite me faire perdre patience.
La japonaise soupirait lourdement de l'autre côté de la pièce. J'aurai pu sentir son souffle comme si je me prenais une décharge d'un réacteur d'avion. Elle n'ajoutait rien, remuant ses pensées sans me les partager et tirant un peu plus la gueule. Si auparavant elle était intéressante à analyser sur le plan du faciès, dorénavant, je ne voulais même pas la regarder. Les rayons qui dépassaient du store illuminaient son visage sans parcimonie. Ce n'était pas du tout artistique et encore moins intéressant en sachant que je risquais d'en prendre des tonnes dans la gueule.
Tia, vraiment, me fais pas chier pour le coup et dit moi ce qu'il y a. - T'es parti où ce matin. - En quoi ça te concerne? - Putain mais je t'ai recueilli après le décès de Kaya, tu chialais dans mes bras y'a encore une dizaine d'heures et maintenant tu me sors le coup du mec indépendant?! - Mais t'attends quoi?! Que je te dise: merci de m'avoir donné tes bras pour me reposer?! Merci d'avoir remis en question ma vie?! Merci de me soutenir?! - Nan j'en veux pas de tout ça! - Mais alors tu veux quoi?! Quoi Tia, quoi bordel de dieu!!
J'étais certain qu'elle-même ne savait pas comment aborder mon cas. Moi, Ethan Kaulins, un suicidaire renommé pour son service quasi-exemplaire au LAPD. Moi, Ethan Kaulins, ancien homme à tout faire d'une mafia londonienne. Moi, Ethan Kaulins, aussi avenant qu'un croquemort à ses propres funérailles.
Je ne veux pas que tu crève sans que ça soit utile pour quelqu'un!! - Oh mais ferme la! Me fais pas celle qui a peur pour les autres ou qui du jour au lendemain s'y intéresse! - Mais c'est pourtant vrai! - Conneries!! En aucun cas tu ne t'intéresse aux autres! T'es une voleuse, t'as ça dans le sang! T'es égoïste! - C'est du passé tout ça! - Et quand?! Quand t'es tu intéressée à quelqu'un d'autre que toi?! - Là maintenant! - Juste pour te donner bonne conscience?! Pourquoi moi qui suis à deux doigts de crever alors que Hawks en aurait bien plus besoin que moi?! Quand?! Quand est-ce que tu t'es posée la question si il n'aurait pas été heureux d'avoir un appel! - On parle pas de Hawks!! - Moi si! Donc maintenant tu fermes ta gueule et tu m'écoutes!
Au fond, je pense que c'était le mieux à faire dans ce genre de circonstances. J'aurai peut être pu le comprendre si j'étais revenu quelques années en arrière. Rejeter pour éviter de plus blesser que ça ne l'est déjà.
Si t'as fini par devenir Lieutenant, c'est juste parce que Hawks et moi étions de jolis noms sur une recommandation.
Parce que je préfère certainement crever seul et honnêtement que d'emporter quelqu'un avec moi. Je n'ai pas besoin de la pitié de quelqu'un d'autre. Je n'ai pas besoin de sa pitié. Je n'en ai jamais désiré, et je n'en veut certainement pas aujourd'hui. Entre deux gorgées de ce jus dégueulasse, amer. Je continuais de couper les liens.
Si t'as réussi à sortir de tes vols, c'est simplement parce que tu nous a rencontré.
Je n'ai jamais été un bon flic. Je ne l'ai jamais nié et je ne crois pas que quelqu'un m'ait entendu dire un jour le contraire. Je fais juste mon boulot et je pense que c'est largement suffisant. Comme à l'époque. Les contrats étaient simples, bien rémunérés et ça me suffisait pour être le gars lambda en soirée avec des personnes de son âge. Tous ces liens, sans exceptions, je les ai détruits.
Si tu es encore là aujourd'hui, c'est parce que moi et moi seul ai fait en sorte de t'éviter les problèmes.
Personne n'aime les confrontations. C'est comme tenter de résoudre un problème de mathématiques assez simples pour qu'un gamin de dix ans le résolve, à coup de grandes volées de marteau dans une boite crânienne, en espérant y trouver la réponse. Elle n'ajoutait rien, ses yeux brillaient à la lueur du soleil alors que je m'affalais sur la chaise de mon bar. J'étais fatigué de la voir, et j'avais cherché à la blesser directement pour lui éviter d'avoir à me supporter un peu plus dans l'apothéose de ma descente aux enfers. J'y avais ouvert les portes comme un demeuré qui ne cherchai qu'à se prendre des coups et elle l'avait parfaitement compris. Elle laissa tomber les mains le long de ses cuisses, elle ne me regardait même plus. Et moi, idiot accompli, je la laissais disparaître derrière la porte de mon appartement.
Une nouvelle fois seul, avec les échos de mes paroles dans le fond de ma tête.
- Malin:
Je retrouvais lentement mes repères dans mon appartement, je n'y était pas resté plus de trois heures dedans depuis déjà quelques mois. Longeant les murs qui le constituait, ma main se laissait frotter sur la peinture blanche, une musique électro en fond afin de rassurer mon inconscient que j'évitais de réfléchir. Je revoyais la marque de mon propre sang sur le coin du salon, cette balle encore chaude qui lentement s'enfonçait un peu plus en direction de mon cerveau. Elle ne me brulait plus depuis, et certainement qu'au bout du chemin, ce sera bien Mia qui aura raison de moi. Sa balle m'aurait avec le temps et je ne pourrais rien n'y faire. J'y avais renoncé depuis longtemps maintenant. Personne ne m'appelait ou ne m'appellerait d'ici deux jours. Et en délaissant mon verre de jus de fruit sur le bar, je cédais à la tentation de retrouver le goulot de ma bouteille de whisky sur cette table basse qui était décidément trop proche du canapé.
Les premières gorgées furent difficiles pour un alcoolique sobre depuis une semaine, mais à la quatrième je m'y accommodais pleinement. Mes yeux scrutaient déjà cette fin de journée où le soleil disparaissais pour laisser place à la lueur de la moitié de la lune. Elle était discrète et timidement belle. J'en profitais pour laver mon corps d'une crasse tenace. Le désert ne m'avait pas épargné et je songeait à ma voiture qui devait être dans le même état. Je ne suis pas quelqu'un de matérialiste, je n'accorde de l'importance à rien et ce n'est pas quelque chose qui me préoccupe. Certains diront que mon appartement est vide, qu'il ne déborde pas de vie. Je répondrai à cela qu'il est vide, comme ces putains de raisons qui m'animent. Le miroir était déjà brisé par plusieurs de mes rencontres avec moi-même. Et je l'avais épargné ce soir en me constatant dedans. Mon reflet était fade. Il ne souriait pas, avec une gueule fatiguée et une pilosité bien trop mal entretenue. Quelques mèches de cheveux grisonnant flirtaient avec le front de ce dernier, et je repassais ma main dans ma crinière afin de les redresser en arrière. Une allure classe. Si seulement je n'avais pas cette barbe. D'une main j'attrapais une tondeuse dans le tiroir, avant de l'actionner. J'y retirais ces poils trop longs qui faisaient du bien à la mine de mon reflet. Quelques coups de mains dans l'eau pour se rafraichir le visage et un arrêt lorsque ce reflet qui était moi était surpris.
Je m'arrêtais quelques instants en réfléchissant sur la causalité. Puis je soupirais en fermant les yeux. Je suis certain d'avoir sourit durant ce laps de temps, mais elle était toujours là. Une petite blonde au 44. Magnum bien pointé derrière moi. Elle ne bougeait pas. Et je suis sûr qu'on s'était déjà vu quelque part.
Trop vide comme appartement!
On me l'a déjà dit. Surprenant qu'elle ne connaisse pas les formes de base d'une expression polie. On évite de froisser les gens plus qu'ils ne le sont, à ce stade là, même la boule de papier de mes rapports était un euphémisme. Mes mains se levaient bien sagement alors que je constatais avec mon reflet, celui de la fillette qui s'amusait à jouer à dieu version breliqué.
Décidément... Mon fan club est de plus en plus jeune...
Elle n'avait pas compris ma blague. C'est tant mieux, elle était de mauvais gout. Son expression affichait une frustration bien ferme sur son minois. Une blondinette aux cheveux longs. Un visage en parfaite harmonie avec ses yeux gris clairs. Elle n'était pas plus bronzée que ça, et d'un côté je la comprenais. Si elle ne faisait rien de ses journées, ses nuits en tout cas devaient être bien plus mouvementées. Ce n'était pas ce que je pensais du genre d'activités que les jeunes pratiquaient maintenant, mais qui pouvais-je être pour y porter un jugement.
Tu sais pour quelles raisons je suis là? - Je présume que ce n'est pas une réplique à la con ce que j'ai face à moi. - Ouaip'! - Donc je présume qu'il faut que je rencontre le Malin en personne... - Hein? - Que je meures quoi... Que je descende aux enfers... - Ah!
Quelle insolence. Ce n'est pas en braquant quelqu'un avec une arme de destruction massive à cette portée qu'on peut facilement dire à quelqu'un que sur l'instant T, il ne va pas mourir. Mais encore une fois, je m'en voyais soulagé, si seulement j'arrivais à la croire.
Vincent vous souhaite un bon rétablissement. - En quel honneur... - Vous ne lui avez pas menti. - Ah.
Encore une fois ça ne répondait pas à mes questions, et j'imaginais que le moindre geste brusque m'amènerai à ma perte. Tout comme ce post-rétablissement qu'on me souhaitait. Crois toi libéré de tes chaines, et on te rappelle à l'ordre quand il en est encore temps.
Donc j'en conclue que je ne mourrai pas maintenant. - Nan. - Ah... - Je ne suis pas la pour te tuer le vieux.
Je ravalais de nouveau ma fierté. Je m'en voyais obligé. Le seul soucis dans cette histoire, c'est que le chien de l'arme était déjà actionné, prêt à être déclenché et que son index se trouvait en étroite collaboration avec la gâchette. Et à en voir le barillet, il était sacrément plein.
C'est quoi ton nom? - Cal! - C'est pas commun... Mais ton nom... - Hanson. - Jamais entendu parlé. - Normal. Vincent aime bien jouer sur ma discrétion. - Je veux dire... de famille hein... - J'ai pas de famille. - Et Vincent alors? - C'est mon patron.
Bizarrement, ses réponses étaient étroitement liées avec les miennes trente ans en arrière. Le diable dansait avec les ombres des pantins qu'il réussissait à articuler, et ce bâtard de Vince avait continué toutes ces années à respecter son propre protocole. Nous étions à huit-clos. Elle, le Malin et moi.
- Avenir:
Qui c'est Vincent à tes yeux?
La gamine se posait déjà pas mal de questions en un temps record. Je n'avais pas encore eu le temps de lui prouver que l'arme qu'elle maintenait comme unique argument pour ma passivité, n'était qu'un obstacle à mes yeux. Mais je ne suis pas un assassin pour autant, je refuse de causer du tord à quelqu'un de trop jeune et trop omnibulé par un fanatisme que j'avais oublié. Je prenais donc mon temps en l'observant dans les moindres détails, un oeil serein se glissait sur son corps. Elle était sportive, peut être bien plus que ne pouvais l'être la japonaise qui me servait de béquille. Elle avait ce regard convaincu et un sourire fier de tenir entre ses doigts la vie d'un quadragénaire explosé à l'anti-douleur et au bourbon trop sec. Je soupirais donc, attendant l'impatience de la gamine. Je levais les yeux au ciel couvert par ce plafond qui, humide, ruisselait dans un coin de la salle de bain.
Elle appuyait de quelques newtons de plus, le canon de son arme qui embrassait ma chevelure et je me confirmais qu'elle n'était pas du genre à attendre que tout lui tombe entre les mains.
Vince était mon employeur y'a longtemps. Celui qui m'a sorti de la merde pour bosser pour lui. - Donc je ne suis pas la première... - De loin.
De très loin même. Car si j'avais été l'un des premiers, l'origine de tout était encore ce bon vieux fils de pute de Pedro. Dieu lui-même avait senti que mes pensées l'avaient rejoint alors que je me rappelais de cette lame que je lui avait glissé gentiment entre l'artère et le reste de sa trachée.
Je devais protéger sa fille du frère de Vincent. - La protéger de quoi? - D'elle-même.
Elle me regardait comme intéressée, mais je ne me fiais pas à l'idée de faire un monologue assez long pour en donner des crampes aux bras à une gamine. A la fin du compte, elle n'aurait que retenu que ses tympans bourdonnaient du surplus d'information, et que j'étais toujours là à vivre alors que tous les autres étaient morts. Tous, ou pour la plupart. Dans ce petit cercle très prisé des hommes qui galéjaient avec la vie, je m'en sortais certainement le mieux. Hawks était celui qui avait totalement abandonné, sans jamais réellement avoir eu l'envie d'en arriver là. Et entre les deux, un bon salaud d'afro comme on en fait plus. Hayes était le genre à être l'ultime survivant des Fitzermann. C'était le genre à s'être repris avant qu'il ne soit réellement tard pour son propre esprit. Je l'admirais au fond ce con. Peut être parce qu'il m'avait un jour sauvé le cul, ou alors tout simplement parce qu'il avait survécu à Mia. C'était déjà un putain de palmarès.
Elle était folle? - Oh non... T'es très loin du compte.
Le plus fou des quatre, c'était certainement moi. Elle le disait elle-même que je ne faisais jamais grand chose de censé. Il faut avouer qu'à un certain quota de tentatives de suicides, la mort n'était qu'une douce berceuse qui attendait que se finisse les petits tours de marionnettes pour reprendre. Comme un bébé qui n'arrivait pas à dormir, mais sous le stade des terreurs nocturnes. Est-ce que je me suis déjà détesté pour ce que j'ai fais, ou dit, je ne crois pas. Je me suis juste habitué à délivrer des anti-douleurs permanents du bout de mon canon et je n'attendais plus de pitié pour mon cas.
Cal venait rabaisser le canon de son arme en soupirant. Elle n'avait pas peur de moi, de ce regard que je lui maintenait contre le sien. Elle se fichait totalement de moi après quoi. En sortant de la salle de bain, j'avais déjà décompté dix-sept fois une manière de la tuer. Etranglement, rasoir, pommeau de douche, lombaires, le verre du miroir, ma propre arme, et tant d'autres qui traversaient mon esprit alors que je la regardais légèrement tortiller du cul pour rejoindre mon salon. J'aurai pu me laisser aller à des pensées lubriques en regardant le corps d'une fille de seize ans dont j'avais deviné l'âge et pourtant, je venais finir de me constater dans le miroir. Je remettais de nouveau cette mèche de cheveux en arrière alors que me suppliais de lâcher prise et de la rayer des notes de recensement de la ville de Londres.
Décédée pour rien.
Todd...
C H A P I T R E 7
- Nuages en été:
Mes yeux se rivaient sur la photographie dont je n'avais plus donné d'importance depuis plus de quelques années maintenant. Elle était renversée depuis longtemps. La poussière en avait fait son nid alors qu'elle venait d'être délogée par les mains d'une fillette qui se croyait en brocante. Plus rien n'avait d'importance. Tout s'effondrait alors que je venais de prendre conscience d'une erreur fatale. Dans cette réalité que je m'efforçais d'oublier depuis si longtemps. Dans cet espace confiné où trente centimètres avaient plus d'impact que n'importe lequel de mes crimes. Elle tenait une photographie d'une main, me constatant de ses yeux purs. Elle ne bougeait pas. Elle me regardait alors qu'elle avait compris qu'elle avait dérangé quelque chose d'important, mais je ne voulais pas de ses excuses. Je n'étais pas capable d'en recevoir.
Où as-tu entendu ce prénom... - Hein? - Où as-tu entendu ce prénom.
Je ne voulais pas entendre la réponse, mais mon cerveau était passé en mode automatique. Je me rassurais en m'étant convaincu que je pouvais encore ne pas l'entendre et la tuer sur cette photo. Et pourtant je ne bougeais pas en baissant la tête. Au fond de moi, quelqu'un hurlait. J'aurai pu croire que c'était moi durant quelques instants, mais cette douleur était déjà partie depuis des années. Elle revenait lentement, comme la première des métastases qui flirtait alors avec un poumon. Elle annonçait que ça ferait mal. Que j'allais en chier jusqu'à ma mort. Et elle s'arrêtait quand Cal ouvrit la bouche.
Vince disait qu'il était capable de me donner certaines réponses.
Dis quelque chose bordel de merde Ethan. Bouge tes putains de lèvres et pose ta putain de question. Elle retirait lentement la photographie du cadre avant de la secouer quelques instants, ne me regardant plus. Fait quelque chose bordel de merde Ethan. Tue la avant que ça n'empire. Et je baissais la tête à refuser d'admettre que j'avais un problème conséquent. Une victime de plus ou de moins, dans l'idée, je n'aurai qu'à tourner ça comme de la légitime défense. Et portant je n'arrivais pas à articuler un putain de mot dans le creux de ma bouche, en découvrant mes pieds qui me supportaient durant quarante-sept ans. C'étaient eux les vrais héros dans l'histoire. A pouvoir encore me faire bouger.
C'est toi à côté de lui?
Ma tête affirmait comme un enfant qu'on engueule. Timide et vulnérable. Mon existence s'était fondée sur des mensonges. J'avais eu le courage de démanteler trois groupes internes sous le couvert de la vengeance. J'aurai pu crever à ce moment là, et pourtant j'avais une femme à qui je cachais mes activités extra-policières. Je lui avouais que je restais plus tard en soirée avec les collègues, que je devais ranger des papiers dans le bureau. N'importe lequel de mes collègues y croyait. Je n'avais qu'un masque que je portais au bon vouloir du monde. Et maintenant, maintenant que je n'ai plus rien, je ne peux que m'efforcer de regarder derrière moi ces familles que j'ai détruis. Ce nombre de vie que j'ai enlevé. Ce nombre de personnes qui sont mortes à cause de moi.
C'était qui Todd pour toi? - Mon frère.
Et alors que j'avouais ce qu'elle voulait entendre, la curieuse affichait une surprise sur son visage. Elle ne s'y attendais pas. Et contre elle, mon ombre me souriait.
C'est quand même triste que tu n'arrives pas à te débarrasser de moi.
- Neige en été:
Elle ne cachait pas sa surprise alors que je m'efforçais de me battre avec moi-même pour pouvoir articuler un peu plus qu'une phrase à la con. Elle pliait alors la photographie qu'elle plongeait dans le creux de son sweater.
Tu sais où je peux le voir? - Au cimetière. - Il y travaille?! - Il est mort... - C-... Comment ça?
C'était un bel été où les femmes sortaient leurs plus belles courbes sous un bikini fluo qui contrastait avec leur bronzage. Nous aimions les étés comme celui-ci, où même les criminels s'arrêtaient le temps d'apprécier une mer calme. Le monde était en vie, et il en débordait. Les barbecues entre amis, les apéritifs sur le coin d'une terrasse où les robes simples qui se soulèvent sous la brise chaude. Les rires des enfants et les voitures décapotables qui laissaient allègrement les cheveux se bercer contre le vent. Rien n'était plus bon que de savoir qu'une fois la fin de service amorcée, nous profiterions d'une eau clair dans le creux d'une piscine sur les collines d'Hollywood.
L'été était brûlant. Et pourtant, cette putain de neige en avait marqué ma mémoire. Hollywood était en feu, et les flocons passaient par dessus le toit de ma voiture. J'y prêtais attention sous un thermomètre à trente-cinq degrés à l'ombre. Et ce paysage défilait sous mes yeux. Cet été était brûlant comme l'enfer. Dieu avait pris ses valises pour se barrer à Hawaï où il siroterait des sangrias à longueur de journée. Cette neige n'était que les cendres de sa maison qui se faisaient emporter par le vent. Et alors que je mourais lentement sous la chaleur, d'autres avaient froid. J'étais arrivé trop tard pour les voir. J'étais arrivé trop tard pour les sauver. J'étais arrivé trop tard pour me le pardonner.
Je n'ai jamais réussi à pleurer sa mort. Ni celle de sa femme ou de ses filles. Je n'ai jamais réussi à faire ce deuil. Je n'ai jamais réussi à me pardonner. Je n'ai jamais réussi à ouvrir les yeux sur le chemin que j'avais pris. Et Dieu, à l'heure qu'il est continue de siroter sa sangria comme un putain d'alcoolique. Et si maintenant, une gamine devait me faire une morale armée d'un .44 Magnum, je pourrai dire que toute cette putain de vie n'a jamais eu un putain de sens. Soit mon scénariste était totalement à l'ouest, soit j'ai tout mis en oeuvre pour en chier jusqu'à la fin.
C'était ton frère... - A quelles questions il aurait pu te répondre de toute manière... - J'en sais rien... - Alors pourquoi l'avoir cherché... - Vince m'a dit qu-... - Tout le monde ment. - Il m'a dit que j'aurai pu savoir qui était réellement-... - Tout le monde ment. - Qui était réellement mon père...
Il neigeait de nouveau cet été. Mes yeux laissaient s'échapper des larmes froides le long de mes joues sans que je n'ai pu dire ou comprendre pourquoi. Et alors que je m'éforcais d'y trouver une réponse, je revoyais Noa et Thea dans cette mare de sang. Vince venait de perdre sa fille, et m'en envoyer une qui cherchait alors son père. Je comprenais lentement qu'il n'avait jamais déchiré le contrat et que c'était la raison pour laquelle je pouvais encore m'estimer heureux d'être en vie.
C H A P I T R E 8
- Gris clair:
Elle s'était assise sur mon canapé. Son air de tueuse avait finalement disparu avec les quelques larmes que j'avais laissé tomber le long de ma joue. Elle ne disait rien et cela me convenait parfaitement. J'en profitais pour décharger son arme afin de m'éviter un stress inutile tout le long de son séjour. Malheureusement, je n'avais pas la gueule d'un baby-sitter et si je pouvais éviter de m'encombrer de nouveau d'une psychopathe adolescente, mon coeur ne s'en porterai que mieux. Néanmoins je me retrouvais de nouveau avec une demoiselle en détresse que je ne savais pas où ranger. Elle n'avait pas l'intention de déranger, mais je compris dans son regard que si elle devait rentrer d'où elle venait, l'intégralité de mon existence serait déchirée comme une simple feuille que les gamins bourrent de ratures.
Vous ne voulez pas m'aider? - Hmm? Je me demande comment gérer cette histoire. - Ah.
Au plus profond de moi, je m'avouais persuadé d'un dénouement identique à ceux passés. Comment pourrais-je aider une fillette alors que je n'ai pas réussi à protéger ma fille, et encore moi celle d'un autre homme. J'avais de la peine de l'imaginer de diverses manières. Morte, éventrée, agonisante sur la route, sous le soleil du désert, exécutée, électrifiée, écrasée, et encore des tas d'autres manières un peu sales de mourir à seize ans. Et puis je soupirais. Je relâchait de l'air froid d'entre mes poumons en plein son visage. Elle n'ajoutait rien en rétorquant à ma flemme par une manière nonchalante. Elle venait de s'allonger, bras croisés, et fermait tranquillement les yeux en s'habituant à son nouveau chez-elle. Au fond, nous pourrions très bien rester ici sans rien faire durant le restant de nos jours, je n'avais plus que quelques années à tirer avant de partir le premier.
Tu sais gamine... - Cal. - Tu sais Cal. Je ne sais même pas qui pourrait être ton père. - Il a dit que tu dirais ça. - Et il a dit quoi d'autre. - Que je devais te convaincre. - Et t'attends quoi? - Il y a un kilo d'explosif sous le bar.
Je ricanais doucement sans réellement croire à ses mots. Il m'était rare de rire, et j'attrapais la première occasion pour détendre mes nerfs salement atteints au fil des années. Je m'arrêtais alors en la constatant se tourner, dos à moi, comme une fille qui venait à tirer la tête à son père, son frère, ou n'importe quel connard qui aurait contrarié une adolescente. Le sifflement fut très lourd. Mes oreilles avaient pris un kilo de décibel en une fraction de secondes alors que je venais entendre mon propre coeur battre. Ma tête fit un tour complet afin de constater l'état du bar avant que je ne puisse lâcher un mot. A ce même instant, un canon familier venait embrasser l'arrière de ma tête alors que je la retournais vivement pour riposter d'un poing contre l'arme qui s'arrêta net lorsque mes yeux remarquaient que ce .44 Magnum que j'avais réussi à déchargé, était de nouveau létal pour mon être tout entier.
Elle souriait provocante, attendant seulement que je fasse un faux pas pour me défigurer à mort. Ses yeux gris clair me perçaient le moral de m'échapper. Je fermais les yeux à l'arrêt avant de laisser de nouveau mes bras pendre le long de mon corps en espérant que mes tympans reprennent goût à entendre les son environnants. Puis le sifflement devenait un son saccadé en mélange avec l'alarme incendie. Les chiens commençaient à aboyer dans les quartiers d'à côté et je venais comprendre qu'elle n'était pas la protégée de Vince pour rien.
Vous ne voulez pas m'aider? - Tout compte fait... - Oui? - Si. - Je pense pour vous et moi qu'il est préférable de ne pas attendre l'arrivée de la police.
Allez leur expliquer. Moi qui ait prit une balle dans la tête et qui ai survécu, que ma maison venait de voir un trou s'y former alors que mes whiskys les plus chers n'avaient même pas été entamés. J'acquiesçais de nouveau avant de lui montrer la porte encore intact de ma main gauche. Elle s'y dirigea alors, me laissant l'occasion de prendre mon bomber et mon booster avec moi.
C'était mon dernier boulot. Il était identique aux autres, mais c'était le dernier.
- Départ:
On commence par où?
Cal s'attachait tranquillement sa ceinture alors que je constatais toujours son arme branlante sur ses genoux. A la moindre occasion il m'était possible de m'en emparer et d'ajouter une victime de plus sur le compteur, mais pour quelqu'un qui devait l'aider, je me voyais mal finir le travail comme ça. Elle ne répondait pas immédiatement. La gamine aimait se faire désirer pour son âge, et intimement, je me disait que ça irait certainement de mal en pire. Je soupirais en recrachant une fumée opaque d'une gitane mal roulée. Puis elle rouvrit les yeux après s'être attaché les cheveux d'une manière que je connaissais parfois trop.
Je peux vous tutoyer? - Ecoute. Pour une nana qui fait sauter mon bar avec un kilo d'explosif, et qui en suite me demande si elle peut me tutoyer... T'es déjà allée bien plus loin que certaines personnes. - Tu pourrais me dire qui ton frère fréquentais?
Pas grand monde j'aurai pu dire, mais un nom me restait trop longtemps sur la langue. Je ne voulais pas le lui dire, car ne voulant pas finir mort plus prématurément que l'espérance de vie que j'avais envisagé, je m'y refusais. Mes poings serraient le volant de ma berline qui me suppliait de lâcher prise alors que nous n'étions même pas engagés dans une fusillade en course poursuite. Cal n'arrêtait pas de me fixer dans les yeux depuis le rétroviseur central, à quelques instants j'avais eu envie de lui faire comprendre que dévisager quelqu'un qui ne savait pas quoi répondre était uniquement stressant et n'aidait en rien au dénouement. Puis je relâchais le volant, reprenant une bouffée de goudron entre les poumons.
Caldwell. - Qui c'était. - Un fils de flic qui était un fils de mafieux qui est devenu un mafieux à son tour. - Compliqué comme histoire. - Le fait que tu me parle est déjà assez compliqué pour moi. N'en rajoute pas.
Je ne savais pas trop comment aborder la situation à Caldwell dernier fils. Je ne me souvenais même pas de son nom sur l'instant et j'imaginais mal débarquer devant lui en lui avouant qu'un Kaulins avait besoin de l'aide d'un Caldwell pour sa propre survie. Ca aurait été le pire scénario possible. Mais en clair, la personne la plus proche des Fitzermann avant d'être la succession Hayes - Hawks était bien évidemment un Caldwell, anciennement nommé Meadows. C'était une série complètement désorganisée entre plusieurs familles, qui pourtant avaient fait tant de choses par le passé. Bonnes ou mauvaises, le résultat était le même.
A ta tête, tu ne veux pas le voir. - Pour toi comme pour moi, il vaudrait mieux éviter. - Super... On procède comment alors? - On fouille les affaires de la fille de notre patron. - Mais... Kaya est morte.. - Ca n'exclue pas qu'elle a des souvenirs. - Je comprend pas...
Le mieux pour nous, c'était de fouler le sol de là où tout à commencé pour Kaya.
D'autres informations, d'autres noms et d'autres photos. Une famille proche. Une famille liée aussi à présent. Les Meadows. Ils avaient la bonne tête. Mais apparemment, ils n'étaient plus de ce monde, et à ma grande surprise, ils n'étaient pas mort de la main de l'équipe. J'dois vous dire que c'était une tonne d'informations à traiter, et que je n'ai pas tout appris comme ça. J'en ai chié royalement pour avoir déchiffrée tout ça déjà. Mais ça en valait la peine. Elisabeth, ma grand mère, avait fait un travail colossal en suivant les traces de ses grands parents. Mais à quoi bon laisser tout ça alors que c'était censé être terminé? Pourquoi moi, je suis tombée sur ce paquet monstrueux d'informations destinées à n'importe qui...
J'étais certain que depuis cet enregistrement qu'elle avait laissé dans ses affaires, les infos y seraient toujours. Et alors que je prenais la direction de la demeure familiale, je retrouvais ces vieux fantômes qui nous observaient le long de la route. Accusant mes actes, dévoilant mes remords. Moi et cette gamine trop pure dans ses crimes.
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