Pour dix dollars, ce monde est beau. Une partie de moi se veut optimiste, l'une traite l'autre de sarcastique.
- L'enfance :
La tendre chose qu'est l'enfance. La découverte de soi-même, l'épanouissement, l'apprentissage de la vie, l'insouciance...
L'insouciance... in-sou-ciance... Trois syllabes qui, mit bout-à-bout, suffisent à me produire un haut-le-cœur. Y'a deux types d'enfants. Ceux auxquels le mot en i est profitable, et ceux dans le cas contraire. Vous vous doutez déjà dans quelle catégorie j'ai grandit.
Il me disait que "tout allait bien", et je l'ai cru. J'avais tort. Soucieuse. J'aurais dû être soucieuse. Chaque visite de ces individus de mauvaise trempe aurait dû me mettre la puce à l'oreille. Ça commençait par quelques mots. "S'il vous plaît monsieur Tsukino... votre payement... pourriez-vous nous informer sur ce qu'il en est ?" Ils paraissaient carrément polis. Je me suis rendu compte plus tard qu'ils n'avaient rien à faire des bonnes manières. "Bientôt. C'est toujours bientôt avec vous monsieur Tsukino ! La prochaine fois nous casserons autre chose que votre nez, soyez-en sûr !" Celui qui parlait détourna son regard du visage ensanglanté de mon père, pour m'adresser un sourire qui m'avait instantanément conféré la chair de poule.
Chinatown, Seattle. C'est pour le pays des opportunités qu'a opté mon père, après le décès de ma mère. Comme si les perpétuelles averses ne rendaient pas le cadre de vie assez déprimant, plusieurs bandes de malfrats se battaient pour extorquer un maximum de commerce dans la zone. On avait à faire à des nippo-américains - tout comme nous - qui semblait avoir le bras très long. Ça se voyait à leurs jolis costumes, leurs loafers en daim et leurs grosses berlines. Le crime ne paie pas ? Vastes conneries. Ils roulaient sur l'or, et chaque commerçant du quartier faisait office de mine.
Est venu le jour ou mon père n'était plus assez productif... après avoir été réveillé par deux détonations, j'ai couru dehors. Mon père gisait la, deux balles logées dans le front, la cigarette qu'il fumait toujours en main. Il était huit heures du matin, c'était l'heure à laquelle il fermait son bar. Les lumières bleuâtres de l'enseigne se mêlaient au sang vermeille qui dégoulinait le long du trottoir. "Teika Tsukino". Mon nom était inscrit sur ce néon : "Le déclin De la lune". Il fermait toujours à l'aube, étant une personne de la nuit. Un fêtard effréné, qui n'avait peur de rien. Après des années d’extorsion, il avait commencé à ignorer les menaces, ne lâchant plus un sous... grossière erreur. Cependant, il n'avait jamais été aussi heureux depuis la mort de ma mère. Il avait deux fiertés qui portaient le même nom ; désormais, il n'avait plus qu'une urne funéraire, juxtaposé à celle de sa femme. J'avais 18 ans, et c'était la fin de mon enfance, la fin de mon insouciance.
- Prête :
Le blackout s'est achevé lorsque je me suis retrouvée dans ma chambre, le jean tâché de ce qui semblait être mon propre vomi. Tout mes meubles avaient disparus. Pourquoi ? Qu'ais-je fait ? Quel jour étions-nous ? Trop de réflexions que je préférais abandonner, étant donné le délicieux mélange de migraine carabinée et de nausée vertigineuse qui me prenait. Il n'y avait que trois choses dans la pièce, posé à même le sol : Un revolver ne contenant qu'une balle dans le barillet, une bouteille d'eau, et un sachet d'une poudre dont la couleur jouait entre le marron et le blanc. J'avais déjà vu de la MDMA auparavant. Je n'y avais jamais goûté cependant. La porte était verrouillé. Malgré mes hurlements, personne ne me répondait. Mes capacités cognitives zombifiées parvenaient à comprendre la situation : on me donnait un choix. Quelqu'un jouait avec moi comme on joue avec une souris de laboratoire.
Un jeu ?
Ou bien un test ?
J'ai fixé l'arme à droite, et le sachet accompagné de la bouteille à gauche, chacun pendant de longues minutes. Quel était la réponse ? J'ai procédé par élimination, ramassant le revolver, manquant de m'affaler par terre en me penchant. J'ai tiré sur la serrure de la porte. Cela ne s'ouvrait pas, quelque chose bloquait l'entrée. Je n'avais plus que deux options, et la détonation qui résonnait dans la pièce transformait mes tympans en véritables tortionnaires pour mon crâne : prendre cette drogue, ou attendre que le temps passe. Seule, dans cette pièce à la lumière tamisée, j'ai fait connaissance avec cette substance. J'ai versé l'intégralité du sachet sur ma langue, puis, gorgée par gorgée, j'ai pris soin de tout avaler. C'était la fin d'une ère, je pouvais le sentir... physiquement... comme psychiquement. Un agréable engourdissement créait une multitude de sensation dans mon corps, dessinant de façon automatique un sourire sur mes lèvres.
Était-ce une bonne idée que de rentrer dans le jeu de celui qui me retenait captive ? Je ne sais pas, et je m'en fous. J'ai jamais passé plus de trois semaines sans prendre de MDMA après cela. Avais-je réussi le test, ou l'avais-je échoué ? Je cherche toujours la réponse... Ma vie a prit un tournant radical depuis l'assassinat de mon père. J'ai été tenue en laisse, et j'ai dû voir et faire des choses qui m'ont fait regretté d'avoir gaspillé une balle. Mais j'étais prête... c'est ce qu'il a dit. J'ai dû passé un bon nombre d'heures à délirer et à parler seule, et la seule conclusion de celui qui m'observait, était que j'étais prête. La porte s'était déverrouillé, et un grand homme tout vêtu de noir me souleva pour me porter sur ses épaules, jusque dans le bar. J'étais à bout de force, je ne pouvais pas me débattre. Prête pour quoi ? En pleine redescente, entourée du même genre d'individus que ceux qui avaient abattus mon père, j'allais trouver la réponse à une question que j'aurais préféré ne jamais avoir à me poser.
- L'autre balle :
Un lavage de cerveau, voila ce pourquoi j'étais prête. Pendant un moment, j'avais préparé une place de choix pour la balle de ce revolver : dans ma tempe droite. J'ai évité la solution de facilité, et c'est une autre balle à retardement qui fût tirée. La cible était mes fondements, mes valeurs, ma personnalité. Ils m'ont expliqué pourquoi ils ont choisis de me laisser en vie. Ils stipulaient que j'étais une personne "à potentiel" qui pouvait leur être "utile". Qu'avais-je à faire à part acquiescer, pour éviter de terminer comme mon père ? Ils m'ont envoyés sur mon chemin avec quelques dollars, un gramme de MD', et un score à battre d'ici une semaine au stand de tir du coin. Celui qui semblait être le plus pragmatique d'entre eux m'interpella à la sortie de ce qui était devenu légalement mon bar. - Teika. - Hm' ? - Ne nous déçois pas... J'ai jeté un dernier coup d’œil vers les trois hommes et la femme qui avaient déjà pris leur aise au sein de mon héritage, descendant quelques bières et remplissant les cendriers. - Vous laisserez l'addition sur le comptoir. Un peu de respect pour les morts bordel... Et j'ai claqué la porte, me mettant en chemin vers le stand. J'ai grillé deux cigarettes sur le chemin. En tirant dessus, je constata que ma main droite était toute tremblante. Ces enfoirés étaient effrayants, mais j'ai quand même décidé d'être piquante sur l'au revoir. Je voulais qu'ils me considèrent comme une dure-à-cuire, même si j'étais loin de l'être à cette époque la. Je le devenais cependant. La Molly que j'absorbais me rendait plus confiante. Désinhibée, c'est le mot pour décrire la sensation que j'avais. Je devais passer plusieurs heures d'affilés par jour à tirer sur une cible ? Je le faisais, je ne m'arrêtais pas. ___________________________________________ - Petite... ça fait sept jours d'affilés que je te vois tirer plus de six heures à la suite... - Haha, je sais ! Oui ! C'est étonnant n'est-ce pas ? - T'es défoncée ? - Oh euh... non, non ! Évidemment ma voix trop pleine d'entrain, mon sourire béni-oui-oui, et mes pupilles plus large qu'une dime trahissaient ma réponse. - Mon cul ouais ! Y'a pas moyen que je laisse une toxo' manier une arme à feu ! Je veux plus te revoir ici, tu vas finir par me flinguer quelqu'un ! Toxo'... j'étais déjà fichée. La sensation amère qu'est de se sentir rejetée... inutile... sans avenir concret. 3070. C'était le dernier score que j'avais effectué. Ils avaient exigés 3000, et sans réfléchir, j'avais rempli leur requête. Je rentrais dans leur jeu. S'en est suivit un entraînement intensif. Ils ont forgés une nouvelle moi. Plutôt qu'une description, une ellipse vers une mise en situation décriera mieux tout ce que j'ai eu à apprendre.
"Quatre-vingt neuf, quatre-vingt dix, quatre-vingt douze... si tu t'arrête t'as le droit à une bonne grosse mandale... voila... quatre-vingt treize, quatre-vingt quatorze..." |
"Ah non. T'es tombée, on recommence. Tu souris tout le temps, même quand tu te fais cogner ?" |
"Elle a ça dans le sang..." |
"Tu vas peut-être vouloir changer le nom du bar..." |
"... comme si c'était l'urne de ton con d'père, tu me comprend ? T'y fais vraiment gaffe !" |
Teika se regardait dans la glace de sa salle de bain, fumant sa cigarette industrielle. Ses cheveux courts noirs donnaient à sa silhouette un air confiant et déterminé lorsqu'elle portait ce costume trois pièces cobalt... anthracite... à moins que cela soit obsidienne ? Elle ne se rappelait plus des propos du vendeur. On lui avait juste demandé de se dégoter quelque chose qui faisait "pro". La musique résonnait déjà du bar jusqu'à la partie habitée par l'orpheline. Elle glissa un Berretta dans un holster qui se trouvait sous son aisselle gauche, et rajusta son blazer pour assurer une certaine discrétion à son port d'arme. "Monsieur, pourriez-vous me suivre ?" dit-elle devant le miroir. Elle répéta la phrase avec plusieurs reformulations. "Monsieur, si vous voulez bien me suivre." ; "Puis-je vous demander de me suivre, monsieur ?". A chaque fois il y avait un petit quelque chose dans son intonation qui lui faisait froncer les sourcils, par mécontentement. "Nique ça." dit-elle en jetant son mégot dans la cuvette de ses toilettes. Elle poussa la porte de sa salle de bain. L'adrénaline montait continuellement depuis déjà cinq bonnes minutes. |
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- Dis mon nom :
Ou était ce fils de pute ? J'avais un compte à régler avec lui. Je scrutais la foule de mon petit bar devenu un strip-club ayant subi une certaine gentrification. J'avais à assurer certaines facettes de cet établissement, qui portait toujours mon nom. Sur le papier les tâches étaient simples : s'assurer du bon déroulement des services d'escorte, et que la came ne soit pas vendue par un "outsider". Ils m'avaient bâtit un petit empire que j'avais à faire tourner sans accroc. Et quelqu'un s'amusait à tenter de vendre son taz' dans mon propre club derrière mon dos.
Bingo, j'ai repéré l'enfoiré. Une gueule de noich' énervé bâtie comme une armoire à glace. Je descendis sur la piste, pour accoster ce bon monsieur avec toute la courtoisie que j'ai expérimenté devant mon miroir.
- Y'a un paquet de réceptacle à foutre ici, mais toi t'as le mérite d'être le plus gros. - Qu'est-ce qu'elle a dit cette salope ? - Tu me suis à l'arrière qu'on continue le débat ?
Il acquiesça. Nous entrions dans mon bureau.
- Tu m'aurais simplement demander de partir, ça aurait aller... mais la, je prend ça personnellement. - J'en ai rien à foutre de comment tu le prend. Ici t'es chez moi, et chez moi y'a un règlement à respecter. - Attend, je te montre ou tu peux te le carrer ton règlement ! Il dit ça en m'envoyant une droite dans la face. Je titube, me rattrapant sur mon bureau. J'esquive le coup qui suit en me dégageant rapidement du meuble d'un pas de côté. Mon poing dans son gros bide fait office de contre-attaque. Estomaqué pendant quelques centièmes de secondes, il était assez vulnérable pour que je refasse sa détention contre le rebord de mon bureau. J'enchaînais les coups avec un petit sourire de fierté. C'était un gros molosse que j'étais en train de maîtriser. - Ftop ! Ftooooop ! - Ftop ? Mais qu'est-ce que ça veut dire ça, "Ftop" ? - Arrête-toi ! Fe t'en fupplies ! J'ai répété l'opération à trois reprises. - Qu'est-ce que tu dis ? Moi aussi j'ai des petits problèmes de compréhension. J'ai pris la plaquette du règlement qui était accroché à mon mur. Il y avait exactement la même à l'entrée. "J'veux dire..." Un coup dans son crâne lui fût porté à l'aide du règlement. "... c'est pas compliqué..." Un autre. "... de lire dix putain de lignes !" Et un dernier. Il avait son compte. - Fe fuis défolé ! - T'as de quoi. Déconner avec les régles de mon club, c'est déconner avec moi. Littéralement. Je me suis penché vers lui. Son visage était recouvert d'une épaisse couche de sang et de larmes. - Dis mon nom... - Euuuuh... - Allez, tu le connais... - Teika Tfukino... - Tsukino ! Avec un "s", enculé ! me suis-je exclamé en lui envoyant un coup de pied dans les côtes, le laissant ensuite marcher honteusement jusqu'à la sortie.
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